De marchands de tabac à vignerons visionnaires
Ce domaine, inscrit sur la liste du patrimoine national australien, a été fondé par Joseph Seppelt dans la vallée de Barossa en Australie méridionale en 1815, quinze ans seulement après l’arrivée des Européens. Seppelt était un marchand et producteur de tabac fortuné originaire de Silésie1 ; il émigra en Australie à l’instar de nombreux autres luthériens, quoique pour des raisons plus économiques que religieuses, embarquant avec sa femme Johanna et leurs trois jeunes enfants, ainsi que treize familles issues de leur voisinage en Silésie.
Plusieurs années après son installation dans la vallée de Barossa, Joseph eut l’idée de devenir vigneron. Il chercha d’abord à faire pousser des plants de tabac pour le commerce avant de changer de tactique et d’acheter des terres pour construire une ferme. Il acheta 63 hectares pour une livre l’hectare2 dans les plaines onduleuses au nord d’Adélaïde, ce qui était un choix avisé même selon les critères de l’époque.
Joseph commença par construire une étable puis une boulangerie, une wursthaus, des logements, un réfectoire, une fromagerie et un cellier. Il développa peu à peu l’infrastructure de la ferme en ayant recours à du fer et à du bois dur de grande qualité importé d’Europe, ainsi qu’à des ardoises et des pierres tirées des collines d’Adélaïde. Au départ, les vignes n’étaient que l’une des nombreuses cultures de la ferme communautaire de Seppelt. Après quelques années passées à explorer les marchés du vin locaux et d’exportation, Joseph fut suffisamment confiant pour commencer à importer en 1865 des matériaux destinés à la construction d’un vaste établissement viticole, et les vignes remplacèrent rapidement toutes les autres cultures de la ferme.
La construction dura douze ans et n’était pas totalement achevée quand Joseph mourut à l’âge de 55 ans. Son fils Benno, âgé de 21 ans et doté du même esprit d’entreprise, reprit l’affaire et la développa avec passion. Après l’achèvement du cellier dédié au porto en 1878, Benno y déposa, en mémoire de son père, un fût de 500 litres de son porto Tawny le plus fin, avec la consigne stricte de ne pas l’ouvrir pendant les 100 années à venir. Grâce à la sagesse de Benno a éclos une tradition incomparable qui a depuis été reprise chaque année et par chaque génération.
Le cellier et le vin centenaires de Seppeltsfield
Aujourd’hui, le Cellier du Centenaire de Seppeltsfield abrite une lignée continue de vins mutés. C’est le seul endroit au monde où vous pouvez goûter un vin âgé de plus d’un siècle et élaboré à partir des grappes d’un seul et même vignoble. Il ne reste plus que deux litres du Para Tawny original de Benno, désormais âgé de 141 ans, ce qui signifie qu’il vous faudra vraiment mettre la main à la poche pour une gorgée de ce millésime particulier ! L’autre offre unique consiste en une visite du Cellier du Centenaire avec la possibilité de goûter un verre du fût correspondant à votre année de naissance et à d’autres années importantes de votre vie – une riche expérience sensorielle, sorte de machine à remonter le temps liquide et veloutée.
En comparant les différents crus disponibles, vous commencez à apprécier la manière dont les variations saisonnières de la météo et des conditions impactent la suavité et l’arôme de la liqueur. Un verre de porto Tawny livre des arômes et flaveurs décadents tels que framboise, mûre, caramel, noix, réglisse, chocolat et vanille. Plus vous remontez le temps, plus le vin devient visqueux, riche et irrésistible, alors que, en 100 ans de maturation et d’évaporation, il ne reste qu’un quart du volume originel. Le plaisir de l’expérience sera tel que vous en viendrez à souhaiter que vos propres arrière-grands-parents aient lancé une telle tradition !
Promenade dans le vaste domaine de Seppeltsfield
Le Cellier du Centenaire n’est pas la seule attraction de Seppeltsfield. En 1888, un cellier gravitaire a été construit à flanc de colline sur une série de terrasses, en tirant parti au maximum de la pente naturelle afin d’aider au transport du fruit à travers la ferme viticole. Pareille approche minimaliste en termes de manutention est désormais un principe de vinification moderne convoité, car non seulement ce système réduit la quantité de travail, mais il renforce aussi les arômes et la pureté du vin.
Seppeltsfield cultive principalement des variétés de syrah, de grenache et de cabernet, typiques de la vallée de Barossa, avec quelques petites plantations de riesling, de touriga et de palomino. Parfaitement adapté au climat méditerranéen, le syrah occupe 50 % de tous les vignobles de la région. Les sols les plus prisés du domaine de Seppeltsfield se situent au niveau du grand vignoble en terrasse, un affleurement sur un coteau composé d’un sol de roche ferrugineuse, de quartz et d’ardoise. Les plants de grenache âgés de 60 à 80 ans de ce vignoble sont traditionnellement destinés au vin muté, même si de petites parcelles sont désormais utilisées pour produire de petites quantités de vin tranquille.
Bordant un sentier de cinq kilomètres de long, d’imposants palmiers des Canaries incarnent la force dont ont fait preuve les Seppelt pour surmonter le ralentissement économique lié à la Grande Dépression. Ils ont réuni autour d’eux une communauté professionnelle si unie qu’elle formait comme une famille élargie et que ses membres n’auraient jamais laissé tomber une seule personne, même quand il y avait peu d’intérêt à fabriquer du vin que personne ne pouvait se permettre d’acheter. Au contraire, tout le monde fut mis à contribution pour planter 4 000 graines de palmier en échange de nourriture pour deux ans. Par la suite, ces palmiers sont devenus l’emblème du domaine.
D’autres attractions historiques à ne pas manquer sont les grands vignobles en terrasse et le mausolée de la famille Seppelt. Les ajouts contemporains au domaine comprennent également le restaurant Fino, qui jouxte une ravissante cour à ciel ouvert de style européen. La philosophie du restaurant accorde une « importance primordiale au produit et à sa provenance », ce qui est parfaitement en phase avec l’éthique même de Seppeltsfield. Des associations simples mais exquises, telles que du maigre fumé avec des haricots, de la chicorée et des câpres, sont servies dans des plats à partager, ce qui représente la meilleure manière d’apprécier un long déjeuner après une matinée consacrée à la dégustation de vin.
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