Nous avons mangé la nature. Paysage anthropique, paysage de l’anthropocène.
Un « paysage anthropique » est un espace profondément modifié par l'être humain.
Si vous pensez regarder la « nature », il s’agit d’une « nature » dans laquelle l’existence et l’habitat de la plupart des espèces animales et végétales ont été conditionnés par la présence humaine depuis des millénaires. Le paysage que vous pouvez observer d'ici résulte d'interactions complexes entre les milieux naturels et les activités humaines, principalement pour la production alimentaire : cultures céréalières, arboriculture, horticulture, élevage. Les champs cultivés, les vergers, les vignes et les systèmes d'irrigation transforment les terrains naturels en zones de production. L'élevage modifie fortement la biodiversité par le biais des pâturages, des alpages, des fermes et des infrastructures qui accueillent les animaux. Même si nous ne le « voyons pas », la chasse et la pêche, activités pratiquées depuis la préhistoire, ont aussi laissé une empreinte profonde sur les paysages, par l’impact qu’elles ont eu sur les populations animales.
Loin d’être un minéral inerte, le sol est vivant ! Un sol sain, comme celui de ce potager, abrite quantité d’insectes, d’araignées, de vers, de mollusques gastéropodes (les limaces et escargots !), etc. qui tous contribuent à y recycler la matière organique. Le sol recèle aussi des populations complexes et invisibles de micro-organismes, constituant son « microbiome » : des bactéries, des virus, des champignons et des algues microscopiques, des « protozoaires », etc. qui concourent au cycle des nutriments essentiels à la croissance des plantes. Par exemple, les bactéries « rhizobia » facilitent la fixation de l’azote dans les racines des légumineuses (haricots, pois…), tandis que les champignons « mycorhiziens » établissent des relations mutuellement bénéfiques avec les racines des plantes qui contribuent à l’absorption des nutriments. On dit de ces organismes qu’ils vivent « en symbiose ». Un sol sain est donc nécessaire au développement optimal et à la résilience des végétaux, cultivés ou non.
L’air abrite aussi la vie ! Et pas que des oiseaux ou des insectes… Comme le sol et l’eau, l’air contient un « microbiome » spécifique à chaque milieu, cultivé ou pas. Il est composé de micro-organismes tels que les bactéries, les pollens, les levures et les spores. Ce microbiome fait partie intégrante de l’écosystème dans lequel l’agriculture est pratiquée et doit être en « bonne santé ». La qualité de l’air est cruciale pour les cultures, car elle influence directement la santé des plantes, des personnes qui s’en occupent et des insectes pollinisateurs. La présence de polluants atmosphériques, tels que les oxydes d’azote ou les particules fines, peut nuire directement à la croissance des cultures. La pulvérisation d’engrais et de produits « phytosanitaires » contre des insectes, des champignons ou des végétaux spécifiques sur les cultures est une cause majeure de pollution de l’air et de dégradation de son microbiome.
Henri-Daniel Champier ©Alimentarium
L’eau est loin d’être un élément inerte dans un écosystème. Comme l’air et la terre, elle recèle des microbiomes, composés de bactéries, d’algues, de champignons et de virus qui jouent un rôle clé dans le maintien des écosystèmes aquatiques. Ces microbiomes participent à la décomposition de la matière organique, au cycle des nutriments et à la régulation de la qualité de l’eau. Dans des écosystèmes complexes, ils forment une chaîne d’interactions vitales, favorisant la biodiversité et la productivité des zones humides, des rivières, des lacs et des océans. L’utilisation de pesticides en agriculture et d’antibiotiques dans l’élevage entraîne un ruissellement de substances chimiques vers les cours d’eau, perturbant l’équilibre des microbiomes. Les excès d’azote et de phosphore provenant des engrais provoquent « l’eutrophisation », c’est-à-dire la prolifération d’algues nuisibles, qui réduit l’oxygène disponible et menace la faune et la flore des cours d’eau, dégradant la résilience des écosystèmes aquatiques et leur capacité à s’autoréguler.
Les poissons, coquillages et crustacés du lac Léman évoluent dans un écosystème profondément influencé par l’activité humaine. Si l’on y pêche aujourd’hui de manière durable des espèces telles que la perche, le brochet, le corégone et l’écrevisse, les deux variétés de féra et les deux espèces d’écrevisses indigènes ont disparu à cause de la surpêche et de la pollution. Par ailleurs, une douzaine d’espèces invasives du XXe et du XXIe siècle, comme le gardon, le silure, le poisson-chat, la crevette rouge-sang, la moule quagga ou encore l’écrevisse de Californie, ont fortement perturbé l’équilibre écologique du lac. La présence de ces espèces invasives menace les espèces indigènes, crée une compétition pour les ressources et altère les habitats. Des efforts de gestion sont entrepris, incluant la régulation de la pêche, la surveillance des populations de poissons ainsi que des initiatives de conservation pour préserver la biodiversité du lac Léman et maintenir ses écosystèmes en bonne santé.
Tout le monde mange et il y a à manger pour tout le monde ! La « convivialité entre les espèces » est un élément essentiel de la vie du paysage et du fonctionnement de tout écosystème. Les animaux, tout comme les plantes, doivent se nourrir en quantité et en qualité suffisantes au fil des saisons. Dans un écosystème établi, les différentes espèces ne cherchent pas à se dévorer ou à se laminer l’une l’autre jusqu’à extinction, avant de partir manger ailleurs ! Au contraire, elles recherchent naturellement l’équilibre par le biais de la « symbiose », une association durable et réciproquement profitable entre deux ou plusieurs espèces différentes. Au cours de l’évolution, celle-ci se traduit par une amélioration réciproque des chances de prospérer durablement. La symbiose est nécessaire à de nombreuses fonctions vitales des organismes et la découverte récente du rôle des microbiomes a encore confirmé son importance centrale. L’être humain a quant à lui jusqu’à présent peu fait preuve de réciprocité en se nourrissant dans le paysage !
Les insectes « pollinisateurs », tels que les abeilles, les papillons, les bourdons et les mouches sont essentiels pour la culture maraîchère, l’arboriculture, la viticulture et l’agriculture en général. Ils assurent la fécondation des fleurs qui permettra à la majorité des plantes cultivées de fructifier, de la tomate au pois chiche, du colza à la noisette… La diversité et la vitalité des pollinisateurs garantissent la fertilité des cultures, permettent d’augmenter les rendements et la qualité des récoltes. Leur rôle est donc crucial pour la biodiversité et a un impact direct sur la production agricole et l’écosystème global. Pourtant, aujourd’hui, les abeilles sont menacées par les pesticides utilisés dans l’agriculture intensive, par les maladies, par la perte d’habitat et par le changement climatique qui causent un déclin alarmant des populations. Ce déclin met en péril la pollinisation de nombreuses cultures essentielles et menace ainsi la sécurité alimentaire mondiale.
Les espèces cultivées dans nos potagers comprennent un large éventail de variétés, avec des cultures populaires comme les tomates, les pommes de terre, les carottes, les laitues, les courgettes ou les poivrons. Ici, près de 300 espèces et variétés poussent chaque année. Leur histoire est ancrée depuis des millénaires dans un échange mondial de plants, de semences, de tubercules, de boutures, ainsi que de connaissances horticoles. Les espèces les plus consommées, comme les tomates, les pommes de terre, les haricots et le maïs, n’ont cependant été introduites en Europe qu’à partir du xvie siècle, à la suite de la colonisation européenne des Amériques – une facette importante de ce que l’on appelle « l’échange colombien », d’après le nom de Christophe Colomb. Au fil du temps, ces légumes ont été sélectionnés, croisés et adaptés aux climats européens dans les jardins botaniques, dans des fermes ou dans des stations horticoles spécialisées. Ils sont ainsi devenus des éléments essentiels du patrimoine culinaire européen et de l’agriculture locale.
Une ruche abrite une « colonie » d’abeilles composée de 30 à 60 000 individus en été, dont une seule « reine » qui pond les œufs qui deviendront les « ouvrières ». Les abeilles construisent des alvéoles en cire dans des rayonnages pour stocker le miel et élever les larves, le « couvain ». Au printemps, l’apiculteur ou l’apicultrice inspecte la ruche pour s’assurer de la bonne santé de la reine et ajoute des « hausses » pour permettre le stockage du surplus de miel récolté par les abeilles durant la saison de floraison. L’été est la période la plus active. Les abeilles récoltent le nectar et le pollen des fleurs. L’apiculteur surveille la ruche et récolte le miel. À l’automne, l’apiculteur prépare la ruche pour l’hiver et veille à ce qu’il y ait suffisamment de provisions pour la colonie. En hiver, les abeilles restent dans le corps de la ruche, formant une grappe pour se tenir chaud. Ce cycle annuel demande une gestion attentive et continue pour assurer la santé et la productivité de la ruche.