Beyond the tongue: Tasting through body and brain
Un aspect fascinant de la perception du goût repose sur l’existence de récepteurs gustatifs ailleurs que sur la surface de la langue où on les a d’abord identifiés. On a récemment découvert des récepteurs dans tout le tractus gastro-intestinal et dans certains organes. Leurs rôles exacts sont encore en cours d’étude mais ils semblent surveiller le contenu nutritif de certains organes pour adapter leur fonction physiologique à la nature de leur contenu. On sait que les récepteurs gustatifs du sucré sont présents dans le tractus gastro-intestinal où ils contribuent à l’absorption du glucose. Ils sont activés par la présence de quantités élevées de glucose dans les intestins, ce qui conduit à une augmentation de la densité et de l’activité des transporteurs de glucose et finalement à l’absorption accélérée du glucose par l'intestin. Chez des animaux, l’activation des récepteurs gustatifs du sucré induit la sécrétion de GLP-1, une hormone stimulant la sécrétion d’insuline, mais un effet similaire n’a pas été clairement démontré chez l’homme.
Le goût pour certains aliments, en particulier sucrés ou gras, et l’aversion pour les toxines ne résulte pas seulement de la gustation, mais aussi, ce qui est intéressant, des conséquences de la digestion. Il est bien connu que si l’ingestion d’une saveur appréciée provoque un stimulus nociceptif, comme la maladie ou la douleur, des expositions ultérieures à cette saveur seront bannies. Ce phénomène pourrait contribuer à l’anorexie qui se développe chez les patients cancéreux à la suite d’une chimiothérapie. Inversement, si un goût neutre est couplé à l’introduction d’une substance nutritive telle que glucides ou graisses dans l’estomac, le goût pour cette substance est augmenté lors d’expositions futures. La contribution de l’apprentissage du goût des aliments sur la formation de nos goûts alimentaires n’est toujours pas prouvée, alors qu’elle a été clairement démontrée chez les animaux.
Il est tentant de spéculer sur le fait que des récepteurs du goût exprimés au niveau de l’intestin reflètent les préférences et les aversions apprises. L’expérience montre que les récepteurs gustatifs de l’amer peuvent contribuer à enseigner l’aversion. On a écarté toute influence des récepteurs gustatifs du sucré comme médiateur dans la préférence acquise à l’ingestion des sucres. Des études sur la souris ont montré que les récepteurs d’acides gras contribuent à l’acquisition de préférences liées à l’ingestion des graisses. De toute évidence, de nombreux mécanismes permettent l’identification des aliments, le goût n'étant que l'un d'entre eux. Il est très difficile de tromper notre corps en lui faisant croire qu’une alimentation non calorique est vraiment nutritive. Par exemple, les édulcorants artificiels ont un goût sucré, mais l’imagerie cérébrale a démontré que le cerveau est capable de les distinguer et qu’il préfère le sucre. On n’en connait pas encore le mécanisme.
Épices entre plaisir et douleur : attaques et réactions défensives au niveau des sens
Parallèlement à la perception du goût, le système trigéminal autour du visage joue un rôle essentiel dans la perception des saveurs et des aliments dans la bouche, en particulier dans la détection des sensations produites par les épices. La perception trigéminale de composants chimiques dans la bouche produit des sensations appelées chemesthetic, liées au contact, à la consistance, à la douleur et à la température : sensations de refroidissement, de picotement, d’anesthésie ou d’astringence. Comme le mécanisme sensoriel impliqué dans le ressenti du chaud et du froid est le même que pour la chemesthesis, la consommation d’herbes aromatiques ou d’épices suscite souvent des sensations de brûlure prolongée provoquée par le piment, la sensation de froid lors de l'inhalation d’un bonbon à la menthe ou l’étrange sensation d’engourdissement provoquée par le poivre du Séchuan. Ces sensations sont transmises au cerveau par le nerf trijumeau qui passe dans la cavité buccale, dans la cavité nasale, sous la peau du visage et dans une partie de l’œil. Ce qui explique que certaines de ces sensations sont ressenties sur la peau, dans le nez ou au niveau de l’œil comme l’irritation produite accidentellement au niveau des yeux par le piment pendant la cuisson.
La plupart des ingrédients épicés ou la plante dont ils sont issus sont toxiques si on les consomme en grandes quantités. La stimulation sensitive du trijumeau (en dehors des organes sensoriels directs) agit comme un mécanisme de protection contre la poursuite de l'ingestion de ces ingrédients en induisant des signaux d’alerte douloureux ou de la toux. Comme pour les récepteurs du goût, il a été prouvé que les récepteurs impliqués dans la détection des épices sont exprimés dans le tractus gastro-intestinal et dans d’autres organes et qu’ils réagissent à divers stimuli tels que la température, les molécules chimiques ou inflammatoires. Comparés aux récepteurs du goût, les récepteurs d’épices qui s’expriment au niveau du tractus gastro-intestinal ne sont pas impliqués dans la détection des aliments nutritifs, mais ils font partie d’un mécanisme de protection contre le stress environnemental. À titre d’exemple, certaines molécules épicées (par exemple la moutarde) sont capables de modifier la motilité intestinale en accélérant le transit. On peut imaginer que ce mécanisme permet de se débarrasser de composés potentiellement toxiques ingérés par erreur. Même si la réaction de l’organisme aux signaux sensoriels déclenchés par des aliments épicés tend à en limiter la consommation, de nombreux effets bénéfiques sont associés à celle-ci, notamment en médecine traditionnelle.
Les sens participent bien sûr au plaisir de manger mais, ainsi qu’il l’a été démontré ci-dessous, ils ont aussi et surtout pour fonction d’identifier un aliment potentiel : est-il comestible ou toxique ? Est-il riche ou pauvre en nutriments ? Ce faisant, ils permettent à l’organisme d’adopter les fonctions métaboliques et comportementales appropriées.