Bien que compactée en portions rappelant celles d’une dînette morose, la nourriture des armées raconte les saveurs d’un pays. Même si la gourmandise n’est pas vraiment au menu! Et ce n’est pas la mignonnette de Grappa qui fera dire le contraire aux soldats italiens. Emma Graham Harrison, journaliste au Guardian, s’est amusée à comparer les rations militaires proposées par les armées de onze nations stationnées à Kaboul, en Afghanistan. En examinant les photos des rations prises début 2014, l’on devine l’origine de leur propriétaire… minestra di pasta, Cheddar, knäckebröd, filet de saumon, Gulasch mit Kartoffeln, cassoulet supérieur, peanut butter… à chaque pays ses spécialités. Mais pour tous les intendants du monde, une même préoccupation: fournir assez à manger dans toutes les conditions.
Le corned-beef, une boîte de singe!
Pas facile de nourrir des soldats engagés dans des combats qui se prolongent. Outre le fait que le milieu peut être hostile – enneigé, montagneux, désertique ou/et humide… – la troupe peut aussi n’avoir ni le temps ni le matériel pour cuisiner. C’est là que la boîte de singe a prouvé son utilité! Petite conserve de viande de bœuf en saumure, semblable à une pâtée pour chats à l’odeur peu engageante, elle se mangeait réchauffée mais s’accommodait aussi du froid. Si elle a restauré les soldats de la Deuxième Guerre mondiale, elle fut aussi emblématique de la difficulté de nourrir sainement des hommes appelés à fournir des efforts physiques importants en situation de stress. Car l’apport nutritionnel doit être équilibré, la saveur et l’aspect appétissants, le paquetage aussi léger, compact qu’étanche et la préparation facile et rapide! La boîte de singe se conservait certes longtemps et remplissait bien les ventres mais à la longue provoquait dégoût et rejet.
Perte de poids et carences
La ration K (photo, ci-contre à droite) proposée dès 1942 par l’armée américaine avait tout pour plaire. Ses trois repas, très légers car constitués d’ingrédients contenant un minimum d’eau, bien que standardisés étaient variés : biscuits, fromage fondu, cube de bouillon, fruits secs, chocolat, viande en boîte, café, sucre... Prévue à l’origine pour de courtes durées, la ration K a formé l’ordinaire des troupes pendant des mois. Ses 2830 kilocalories journalières se sont alors révélées insuffisantes. Les soldats maigrissaient et plus grave, souffraient de carences en vitamines les rendant vulnérables aux maladies. Il a fallu compléter leur alimentation avec notamment des fruits frais.
24 menus pour le GI américain
L’aspect gourmand fait désormais partie des priorités des cuisines militaires en sus de veiller à fournir assez d’énergie. L’armée américaine a ainsi développé 24 types de rations, enrichies en vitamines et sels minéraux, qui comptabilisent 1250 kilocalories par repas dont 36% en graisses et 51% en glucides. Patrie de la gastronomie, la France propose de son côté douze types de menus à ses soldats totalisant chacun 3200 kilocalories par jour et dont la teneur en glucides et lipides est sensiblement la même que celle des rations américaines. Et comme manger est avant tout un acte convivial qui fait du bien au moral, les GI peuvent aussi partager une ration spéciale prévue pour 18 d’entre eux sans se soucier de sa préparation: formée de quatre récipients contenant viande, féculents, légumes et dessert, elle se réchauffe en 30 minutes grâce à une solution saline qu’il suffit d’activer en tirant sur une languette.