Marije Vogelzang, vous avez organisé ce genre de manifestation à Copenhague et à Saint Petersbourg, quel a été votre défi au Japon?
«Feed-Love» Tokyo représentait l’étape suivante, un développement du concept. Je voulais savoir comment la culture japonaise allait l’adopter. J’étais très anxieuse de savoir si les participants collaboreraient vraiment à l’expérience et ils l’ont très bien fait.
Quel objectif poursuivez-vous dans ce projet artistique?
Être nourri par quelqu’un est une chose extrêmement intime. Cela ne vous arrive que rarement, pendant la petite enfance et la vieillesse, quand vous ne pouvez plus le faire vous-même. Nourrir un bébé est un geste associé à l’amour que l’on porte à son enfant et au sentiment de sécurité que l’on veut idéalement lui offrir ; on peut aussi l’imaginer entre des amoureux. Par contre, quand on doit être nourri en cas d’incapacité, l’acte est associé à la vulnérabilité et au pouvoir que l’on peut exercer sur vous. Du point de vue psychologique, c’est fascinant. En associant l’acte de nourrir à une transmission d’histoires, on enrichit l’expérience, on rappelle le lien très fort qui unit souvenir et nourriture, comme cela arrive souvent pendant l'enfance. Nous avons donc proposé un choix d’aliments japonais typiques, dont ceux que préfèrent les enfants, pour stimuler les souvenirs en rapport avec les aliments.
Dans vos travaux, vous installez une frontière visible entre ceux qui nourrissent et ceux qui sont nourris. Ce sont parfois des étoffes, des voiles ou un bandeau sur les yeux pour empêcher toute vision. Pourquoi est-ce si important dans les ambiances que vous créez ?
J’ai l’intuition que si nous avons la possibilité de nous regarder dans les yeux, comme nous le faisons maintenant, je ne pourrais pas vous nourrir car un malaise naîtrait entre nous. Quand on ne se voit pas, on est plus détendu. Je pense que j’essaie seulement d'apporter un sentiment de sécurité : vous vous sentez en sécurité quand vous êtes caché, quand vous pensez que personne ne peut vous voir. C’est comme d’être au lit quand il fait très chaud, vous n’avez pas besoin de couvertures, mais vous voulez quand même un drap très fin, pas pour vous réchauffez – vous n’en avez vraiment pas besoin – simplement pour le sentiment de sécurité qu’il vous procure, par simple contact.
Vous vous présentez vous-même comme designer de l’acte alimentaire. Quelle différence avec un designer alimentaire ?
Un designer alimentaire applique le design dans le domaine des aliments. À mon avis, la nature donne déjà un design parfait aux aliments. Mon design s’applique à l’acte de manger.
Comment êtes-vous devenue designer de l’acte alimentaire ?
C’est venu comme ça, sans idée préconçue de ma part. Pendant mes études à l’Académie de Design, je voulais devenir designer et à l’époque, il y a quinze ans, les designers ne considéraient pas les aliments comme un sujet d’application sérieux. Ce que je trouve bizarre car l’alimentation façonne le monde, les aliments sont essentiels pour nous tous.
Mais à l'époque, je n’avais encore aucune idée à ce sujet. En fait, j’ai commencé à travailler sur l'acte alimentaire parce que j’aimais ça et parce que l’impact émotionnel des aliments m’intéressait. Au même moment, en pleine époque de design conceptuel, un espace me permettant de développer ce nouveau champ de design s'ouvrait à moi. L’idée de design de l’acte de manger a lentement mûri. Cela m’a pris des années pour comprendre l’étendue du potentiel que représente l’acte alimentaire en matière de design. J’en découvrais sans cesse de nouveaux aspects.
J’aime bien vos dessins, ils sont très humoristiques et amusants.
J’aime dessiner et cela m’aide à faire passer mes idées ou mes pensées.