Tous les gourmands le savent : les aliments les plus savoureux sont aussi ceux qui contiennent souvent le plus de sucre, de graisse et de sel. Mangeurs du 21e siècle, affamés de conseils santé et de régimes miracles, nous sommes aussi douloureusement avertis des méfaits de ce trop délicieux trio. Les nutritionnistes, nos nouveaux maîtres à manger, ne nous les autorisent qu’avec parcimonie. Les médias nous mettent régulièrement en garde contre leur débordement : obésité, maladies cardio-vasculaires et diabète sont les nouveaux maux d’une société qui ne souffre plus de faim mais qui continue à être obsédée par la nourriture. Elle est partout : émissions télévisées, blogs, rubriques culinaires, livres de recettes, ateliers de cuisine, multiplication des restaurants exotiques …
Avec DETOX. Croyances autour de la nutrition, le musée de l’alimentation propose de remonter aux sources de la schizophrénie qui frappe les mangeurs occidentaux d’aujourd’hui : d’un côté, des amoncellements d’aliments à stimuler les appétits les plus raisonnables, de l’autre, des recommandations médicales qui appellent à la modération et au-dessus de la mêlée, les dictats de la mode qui encensent la minceur, la santé et la jeunesse. Coincé entre ses aspirations – manger cela fait quand même tellement plaisir – ses bonnes résolutions et les avis éclairés des uns et des autres, le mangeur ne sait plus où donner de la tête et de la bouche ! L’objet de cette exposition n’est pas de le gaver de conseils mais de lui exposer comment l’homme, de l’Antiquité à nos jours, a compris et expliqué les effets de son alimentation sur le fonctionnement de son corps et sur sa santé.
Maigre consolation pour les mangeurs que nous sommes, rassérénés par des régimes aux règles claires, nos ancêtres n’ont pas connu une alimentation plus libre et plus proche de la nature. De tous temps, l’homme a voulu raisonner son alimentation et codifier sa répartition. Aux divers tabous et interdits religieux se sont ajoutés des contraintes sociales, justifiées par des théories prétendant que le système digestif des uns (les aristocrates, les intellectuels, les hommes) était différents des autres (les pauvres, les travailleurs manuels, les femmes). Avant que les progrès de la science n’aient pu mettre en évidence la composition chimique des aliments et expliquer le rôle des nutriments (protéines, glucides, lipides, vitamines, minéraux) dès la fin du 19e siècle, l’homme en était réduit à extrapoler à partir d’observations empiriques. Avec des conclusions qui prêtent aujourd’hui à sourire : ainsi, les fruits frais étaient considérés comme toxiques jusqu’au 17e siècle car susceptibles de pourrir dans l’estomac comme ils le font lorsque laissés à l’air libre. L’eau-de-vie, capable de s’enflammer et de conserver, était par contre chantée comme un médicament quasiment miraculeux à consommer régulièrement. Autre aliment médicament, le lait de la femme, de préférence jeune, que le médecin italien Gallo affirme têter afin de prolonger sa vie.
Si la minceur est aujourd’hui recherchée, double menton et poignées d’amour des femmes et des hommes des siècles passés témoignaient de leur bonne santé et de leur position sociale avantageuse. Ils avaient les moyens de manger plus qu’à leur faim alors que disettes et famines vidaient régulièrement les assiettes de la majorité. Il n’était pas rare encore, au sortir de la seconde guerre mondiale, de voir des publicités vantant la haute teneur en graisse ou en sucre d’aliments et louant la bonne santé d’un nourrisson plus que dodu.
Bref, Détox décortique notre relation à la nourriture au fil des siècles, des croyances et des progrès de la science et s’amuse à démontrer que ce qui était tenu pour vrai et acquis un jour, peut le lendemain être considéré comme faux. Ainsi, alors que boire de l’eau semble aujourd’hui un geste sain, dans les années 1950, les magazines féminins déconseillaient d’en boire plus de 800 grammes par jour de peur d’en imprégner excessivement les tissus. Et lorsque les découvertes scientifiques - parfois contradictoires et plus nuancées que le grand public ne le souhaiterait - viennent ajouter leur grain de sel, la compréhension se brouille. Ainsi, quand les rubriques santé vantent les vertus «anti-oxydantes» du brocoli contre l’apparition du cancer, cette bonne nouvelle n’est valable que pour les porteurs de la modification génétique GSTM1… Est-ce que j’en suis porteuse ? Et vous ?
Bon appétit et à votre santé !
Publicité <em>Maggi</em> pour le bouillon gras dit « réparateur », 1951.
© Emmanuel Turchany/Alimentarium
Publicité pour le sucre, France, vers 1956.
© Emmanuel Turchany/Alimentarium
Frontispice du traité de médecine de Gian Michele Gallo (XVIIe, Florence) vantant les vertus du lait humain.
© Emmanuel Turchany/Alimentarium
Au XIXe siècle, on pensait que manger uniquement des légumes devait fatalement conduire à un épuisement généralisé. A l’instar de cette caricature qui se rit du congrès des végétariens de 1853. <em>Charivari</em> n° 320, 16 novembre 1853.
© Bibliothèque Nationale de France
La pyramide alimentaire du Japon, ou plutôt la toupie, intègre le mouvement dans une hygiène alimentaire équilibrée.
© Emmanuel Turchany/Alimentarium